Transcription de balado
L'Inde : Si vous pouvez réussir là, vous pouvez réussir n'importe où
L'Inde fait partie de ces pays où faire des affaires constitue tout un défi. C'est un marché immense, complexe et imprévisible. Je n'apprends rien de nouveau aux entreprises canadiennes déjà actives là-bas, ni aux entreprises qui pensent à s'y établir.
Ce qui reste surprenant, c'est que même si la croissance a ralenti en Inde pour passer de 9 à 5 p. 100, la confiance reprend. Comment expliquer ce regain d'énergie? Les entreprises canadiennes devraient-elles accorder plus d'attention à ce marché au potentiel immense?
Pour en parler, j'ai avec moi M. Ravi Venkatesan, auteur de Conquering the Chaos: Win in India; Win Everywhere. Cet ancien président de Microsoft Inde et de Cummins India, un fabricant de moteurs diesel et au gaz naturel, est au téléphone depuis son bureau à Mumbai. Ravi, merci d'être des nôtres aujourd'hui.
Ravi Venkatesan : Bonjour.
Michael Mancini : Vous avez démontré dans une série d'articles récents que le climat des affaires en Inde est sur le point de changer radicalement. Pourquoi selon vous?
Ravi Venkatesan : C'est parce que nous avons un nouveau gouvernement. Certains aspects de ce gouvernement sont remarquables. D'abord, c'est la première fois en 30 ans qu'un seul parti dispose d'une majorité nette au Parlement. On n'a donc plus affaire à des coalitions inflexibles aux idées divergentes. On a un mandat clair et fort pour procéder au changement.
Deuxièmement, le premier ministre, M. Modi, a un très grand sens des affaires. Et il a choisi de faire du redressement de l'économie la grande priorité de son nouveau gouvernement.
Il a également de bonnes idées pour l'économie. Il a eu un grand succès au cours de ses presque 13 années comme ministre en chef de l'État occidental du Gujarat.
Il a reconnu sans détour que l'Inde doit devenir un endroit beaucoup plus attrayant pour y faire des affaires, que vous soyez une entreprise indienne ou canadienne. Il veut tout faire pour qu'il soit plus facile de fabriquer ses produits en Inde, et positionner le pays aux côtés de la Chine parmi les géants manufacturiers mondiaux.
Alors, je pense que les gens ont vraiment repris espoir et affichent plus d'optimisme. Les cinq à dix prochaines années verront une vraie rupture avec le passé et devraient être très positives sur le plan économique.
Michael Mancini : D'accord, parlez-nous maintenant des avantages de l'Inde. Il y a probablement des milliers d'entreprises canadiennes à l'écoute. Et pour beaucoup d'entre elles, surtout les PME, l'Inde semble présenter trop de risques. Quel intérêt l'Inde offre-t-il maintenant? En particulier pour les PME?
Ravi Venkatesan : Il est vrai qu'au cours des cinq dernières années, alors que la croissance ralentissait, qu'on s'enlisait dans la bureaucratie et que les scandales de corruption entachaient la réputation du pays, j'ai continué à plaider en faveur de l'Inde dans les termes suivants :
Premièrement, il s'agit d'une économie qui vaut 1 billion de dollars, et même avec une croissance plafonnée à 5 p. 100, vous ne pourriez l'ignorer. D'autant plus que de nombreuses régions du monde ont une croissance zéro.
La taille de sa population est colossale : 1,2 milliard de personnes, dont plus de la moitié ont moins de 25 ans. C'est important du point de vue de la consommation, car plus l'Inde s'enrichira, plus l'appétit des consommateurs augmentera rapidement.
Troisièmement, côté main-d'œuvre, l'Inde est extrêmement importante. Si les TI vous intéressent, l'Inde est déjà de la première destination mondiale. On peut en dire de même pour les travaux en génie ou l'externalisation des processus juridiques ou administratifs, en raison du formidable bassin de talents indiens. Mon argument se résume ainsi : même sans amélioration notable, il s'agit d'une économie et d'un bassin de main-d'œuvre d'une envergure trop grande pour l'ignorer.
Et si M. Modi et son nouveau gouvernement tiennent au moins une part de leur promesse de rendre l'Inde plus attrayante pour les affaires et la production de masse, alors, il est sûr que le potentiel sera illimité.
Vous savez, par « chaos », j'entends tous les obstacles auxquels se heurtent les entreprises canadiennes ou étrangères. Quels sont-ils?
Un nombre élevé de tracasseries réglementaires; une bureaucratie excessivement lente à délivrer une autorisation ou à rendre une décision; la corruption généralisée, des infrastructures déficientes. Ce sont là des facteurs, qui s'appliquent, selon moi, non seulement à l'Inde, mais à presque tous les marchés émergents. Vous ne pouvez aller en Indonésie ni au Brésil, ni au Nigéria, ni dans tout autre pays sans faire face aux mêmes problèmes. Voilà les pays qui connaîtront une croissance au cours des prochaines décennies.
Aussi, aux entreprises canadiennes qui se disent : « Bon, le marché nord-américain est presque saturé, il faudrait se tourner vers ces marchés », je leur conseille de s'habituer au chaos. Et il n'y a pas meilleur endroit pour ce faire qu'en Inde, parce que même s'il y a le chaos, le marché est énorme. D'autres marchés aussi sont chaotiques, mais ils n'ont rien d'autre. Je crois qu'il faut traiter l'Inde comme un endroit où faire ses classes, ce qui devrait ensuite vous faciliter la vie lorsque vous voudrez prendre de l'expansion, particulièrement sur les marchés de l'Afrique, de l'Asie du Sud-Est et de l'Amérique du Sud. C'est là mon deuxième argument.
Enfin, j'ai constaté, de manière intéressante, que les entreprises qui avaient utilisé cette stratégie et remporté un large succès en Inde trouvaient ensuite qu'il leur était facile de réussir dans n'importe quel pays. D'où le sous-titre de mon livre : Win in India; Win Everywhere (« Gagnez en Inde; gagnez partout ailleurs »).
Michael Mancini : Pouvez-vous me donner un exemple?
Ravi Venkatesan : Prenons le cas d'une entreprise britannique de taille moyenne, JCB, fondée par J. C. Bamford, qui fabrique de l'équipement de chantier. L'entreprise était probablement la 10e à l'échelle mondiale dans ce secteur, loin derrière Caterpillar, Komatsu et les autres. Ils ont bien joué leurs cartes en Inde et aujourd'hui, leurs affaires ici représentent près du tiers de leurs activités mondiales et plus de la moitié de leurs profits. Leur part du marché de l'équipement de construction en Inde atteint 67 p. 100, et ils devancent de très loin Caterpillar.
L'entreprise applique maintenant sa recette gagnante en Inde non seulement sur les marchés émergents mais aussi sur les marchés développés. J'ai vu la même stratégie réussir d'une entreprise à l'autre, que ce soit mes anciens employeurs Cummins et Microsoft ou encore John Deere, qui a enfin compris comment fabriquer de petits tracteurs concurrentiels pour répondre aux besoins des marchés émergents.
L'Inde est aussi un laboratoire pour plein d'innovations qui se transposent bien ailleurs dans le monde. Si une entreprise canadienne décide d'ignorer l'Inde, elle rate à mon avis d'une belle occasion de réussir, non pas sur un seul marché, mais sur tous les marchés émergents. À l'opposé, si on réussit à décoder le marché indien, les portes s'ouvrent pour beaucoup, beaucoup d'autres pays.
Michael Mancini : Alors, comment fait-on pour s'adapter au chaos?
Ravi Venkatesan : Eh bien, il faut être deux pour valser. Le gouvernement a beaucoup à faire pour réduire les frictions et les vents contraires auxquels se heurtent les entreprises étrangères à leur arrivée en Inde.
Vous savez, la Banque mondiale dispose d'un outil pour mesurer cela. Il s'agit de l'indice mesurant la facilité à faire des affaires. L'Inde s'y classe 134e sur quelque 180 pays, en raison de facteurs comme la fiscalité, la difficulté d'y établir une nouvelle entreprise, la corruption, le système judiciaire et l'exécution des contrats.
Le gouvernement devra donc améliorer tous ces aspects afin que l'Inde se classe au moins dans les cent premiers pays. Si l'Inde se classait 90e plutôt que 134e, ce ne serait pas une si grande amélioration, mais elle rejoindrait pourtant la Chine. Et alors, les gens d'affaires afflueraient.
De leur côté, comment les entreprises canadiennes peuvent-elles s'adapter au chaos? Elles doivent d'abord admettre que le chaos fait partie de la vie. Prenons la corruption. L'Inde est l'un des endroits les plus corrompus du monde. Le pays se classe au 94e rang, en bonne compagnie d'ailleurs. Je n'approuve pas la corruption, mais la Chine se situe, je pense, autour du 90e rang. L'Indonésie, le Nigéria, et bien d'autres sont au bas de l'échelle, comparés à l'Inde, qui se trouve quelque part au milieu.
Et alors, que faites-vous? Vous dites-vous : « Je reviendrai lorsque l'Inde, la Chine et l'Indonésie seront moins corrompues? » Ou y bâtirez-vous une entreprise intègre selon vos valeurs? Bien sûr, il vous faudra apprendre à vivre avec la corruption sans compromettre les valeurs de votre entreprise, ni enfreindre les lois de votre pays. Dans la plupart des cas, c'est possible.
Prenons une entreprise comme Microsoft ou des fabricants comme Cummins ou Deere, qui ont appris à respecter les lois et les valeurs de leur pays d'origine tout en faisant de bonnes affaires dans ces pays. C'est un état d'esprit et des outils appropriés que devront acquérir les entreprises canadiennes.
Michael Mancini : J'aimerais revenir sur un point mentionné plus tôt. Vous avez laissé entendre que l'Inde pourrait devenir un géant manufacturier et concurrencer sérieusement la suprématie chinoise. À votre avis, comment est-ce possible? Et comment les entreprises canadiennes pourraient-elles en tirer profit?
Ravi Venkatesan : Lorsque je dirigeais Cummins, j'ai constaté que nous pouvions fabriquer un moteur de 50 litres en Inde et l'expédier en Chine à un coût semblable ou légèrement moindre que celui de notre contrepartie chinoise. Bien sûr, nous pouvions exporter notre moteur au Royaume-Uni, en Europe et aux États-Unis à un coût nettement inférieur à celui de nos usines américaines et européennes.
De nombreux cas montrent qu'à l'échelle de l'usine, des entreprises ont appris à fabriquer des produits très efficacement en Inde. Pensons à Suzuki, le plus grand fabricant automobile sur le marché indien. Il exporte beaucoup de véhicules en Europe et au Moyen-Orient depuis l'Inde.
Prenons aussi le cas de JCB, l'entreprise d'équipement de construction dont j'ai parlé plus tôt. Elle concentre en Inde sa fabrication de composantes et, de plus en plus, de machines, et s'en sert comme base d'exportation.
Donc, malgré les obstacles, certaines entreprises ont appris à être très, très concurrentielles en Inde, après avoir relevé des défis considérables.
Quels sont ces défis? D'abord, l'acquisition rapide d'un terrain, ce qui constitue un réel problème en Inde. Puis, la souplesse du droit du travail. Peut-on embaucher ou congédier des personnes en fonction du rendement ou des fluctuations de la demande? Pouvez-vous réaménager votre personnel? En Inde, c'est tout un défi, d'où l'importance de réformer le droit du travail.
Et enfin l'infrastructure. Aurez-vous l'électricité, ou devrez-vous la générer vous-même à grande échelle? Comment expédierez-vous vos produits vers les ports? Combien de temps pour dédouaner votre cargaison au port? Voilà vos grands défis.
Si ce gouvernement décide de s'attaquer à ces problèmes, — et je ne veux pas laisser croire que l'Inde menacera la Chine, ce serait trop arrogant —, je pense que nous pourrions prendre notre juste place à ses côtés à titre de géant manufacturier.
Michael Mancini : Revenons aux entreprises canadiennes, à celles qui hésitent à savoir si le moment est propice pour se lancer sur le marché indien? Le plus tôt est-il le mieux?
Ravi Venkatesan : Ne perdez pas un seul instant. Il est déjà tard pour entrer dans la ronde En effet, vous devriez déjà avoir une certaine présence en Inde sur laquelle bâtir rapidement. Il faut savoir que sur ces marchés, la croissance n'est pas linéaire. À quelques occasions, les portes s'ouvriront, des occasions se présenteront pour vous faire bondir en avant.
Puis, par temps durs, comme ce fut le cas au cours des quatre dernières années... quand tout se déglingue, vous n'aurez qu'à vous mettre à l'abri et survivre.
On prévoit pour bientôt une conjoncture favorable qui durera de cinq à dix ans. Ce serait donc bien de pouvoir compter sur une présence. J'ai un conseil pour les entreprises canadiennes qui n'ont pas déjà un pied en Inde : allez-y, achetez votre billet d'avion, investissez une semaine ou deux pour explorer ce que le pays peut vous offrir et voir quelles sont les occasions pour votre entreprise. Puis prenez votre décision.
Michael Mancini : Ravi, merci d'avoir été des nôtres aujourd'hui.
Ravi Venkatesan : Tout le plaisir est pour moi. Et j'espère avoir persuadé au moins quelques-uns de vos auditeurs à appeler un agent de voyages.
Michael Mancini : Je n'en doute pas. Je m'entretenais avec Ravi Venkatesan, auteur de Conquering the Chaos: Win in India, Win Everywhere, un livre que vous pouvez vous procurer sur amazon.com.
Un autre de vos alliés est le Service des délégués commerciaux du Canada. N'hésitez pas à consulter le site deleguescommerciaux.gc.ca afin d'avoir accès au plus vaste réseau d'experts en commerce international à votre service. Je répète, deleguescommerciaux.gc.ca.
Ici Michael Mancini qui vous dit « À la prochaine ».
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