Transcription de balado : Les risques et les avantages des coentreprises en Inde
Selon mon prochain invité, la simple mention d'une coentreprise en Inde fera sans doute frémir les dirigeants de sociétés avec lesquels vous discuterez. Oui, « frémir ». Pourquoi? Et que doivent faire les gens d'affaires pour relever le défi de lancer une coentreprise en Inde?
Mon prochain invité, M. Ravi Venkatesan, est l'auteur de Conquering the Chaos: Win in India, Win Everywhere. Cet ancien président de Microsoft Inde et de Cummins India, un fabricant de moteurs diesel et au gaz naturel, est au bout du fil dans son bureau à Mumbai.
Ravi, merci d'être des nôtres aujourd'hui.
RAVI VENKATESAN (auteur de Conquering the Chaos: Win in India, Win Everywhere et ancien président de Microsoft Inde et de Cummins India) : Enchanté Michael.
MICHAEL MANCINI : Pourquoi les chefs d'entreprise frémissent-ils à l'idée de former une coentreprise en Inde?
RAVI VENKATESAN : Je crois que les coentreprises effraient un peu tout le monde. Vous savez, mondialement, environ la moitié de toutes les coentreprises échouent; il s'agit foncièrement de structures transitoires, temporaires. Mais certaines avortent assez rapidement.
Et sur les marchés émergents, que ce soit en Inde ou ailleurs, le taux d'échec est un peu plus élevé. À mon avis, cela s'explique par le fait que les deux partenaires ont des attentes irréalistes ou des valeurs différentes, en plus d'une foule d'autres facteurs. Ce simple bilan a de quoi inquiéter bien des gens.
Les dirigeants nord-américains, particulièrement aux États-Unis, aiment avoir le contrôle; ils préfèrent les situations où ils ont une emprise totale sur l'entreprise et la capacité de décider sans avoir à consulter, à négocier, etc.
Je crois que les cadres européens ont moins tendance à vouloir tout contrôler. Toutefois, je crois que c'est peut-être une autre raison pour laquelle les gens voient les coentreprises d'un mauvais œil à moins qu'elles ne soient incontournables.
MICHAEL MANCINI : Ce qui amène la question du risque : sans un contrôle, les risques semblent accrus. Et le risque et les affaires ne font pas bon ménage.
RAVI VENKATESAN : C'est vrai. Si les risques semblent plus élevés, les gens pourraient aussi croire que leur partenaire d'affaires les ralentira dans leur expansion. Ils se posent donc la question : si l'entreprise réussit et qu'ils doivent partager les bénéfices, quel est l'intérêt d'aller de l'avant?
Il existe en effet de nombreux motifs valables pour ne pas partager le contrôle, à moins d'une nécessité absolue.
J'ai dirigé 11 coentreprises et j'estime à 9 le nombre de celles qui ont réussi, et plusieurs d'entre elles existent encore. Je suis donc un partisan des coentreprises, mais il faut trouver le bon partenaire. Nous pourrions discuter des caractéristiques d'un bon partenaire, mais il reste que quand on arrive à en trouver un et à apprendre à gérer ce genre d'alliances, la coentreprise offre d'énormes avantages.
MICHAEL MANCINI : Quels avantages une coentreprise offre-t-elle donc?
RAVI VENKATESAN : Il y a trois bonnes raisons d'envisager l'établissement d'une coentreprise dans un marché émergent comme l'Inde, ou, du moins, d'être ouvert à cette idée.
D'abord, la réglementation. Dans certaines industries, comme la téléphonie, il est impossible de détenir la totalité d'une entreprise. C'est également le cas dans le domaine de l'assurance et de la défense, etc. Par conséquent, vous aurez besoin d'un partenaire indien. La réglementation vous y obligera.
Deuxièmement, le partenaire. Avec le bon partenaire vous pourrez profiter de capacités très différentes et complémentaires. Donc, si vous fabriquez des moteurs ou des camions diesel, par exemple, vous fournirez le produit, peut-être aussi la marque, ainsi que la technologie et le savoir-faire à l'échelle mondiale. Pour sa part, votre partenaire indien ou local peut vous faire mieux comprendre les conditions locales, par exemple pour vous aider à démêler les exigences du gouvernement et vous faire profiter de son savoir-faire pour la distribution ou l'embauche de talents, entre autres. Si vous pouvez réunir toutes ces capacités, tant mieux.
Évidemment, en contrepartie, vous devez partager les risques. Et si le risque vous fait peur, le fait d'avoir un partenaire local qui l'assume avec vous peut être bien important.
Mais le plus important, une coentreprise vous forcera à vous adapter et à localiser beaucoup plus rapidement vos activités que si vous exerciez un contrôle total sur votre entreprise.
Et la plus grande tentation lorsque l'on détient la totalité d'une entreprise en Inde ou en Chine est de reproduire bêtement son modèle utilisé ailleurs dans le monde, comme les politiques en matière de ressources humaines, de budgétisation, etc., qu'elles s'appliquent localement ou non. Et si le partenaire détient 49, 50 ou 51 pour cent de la coentreprise, il dira : « Hé! Un instant, cela n'a aucun sens, attendez un peu. » Et même si cela vous irrite ou vous frustre, à moyen terme, vous éviterez bien des problèmes.
Alors, pour toutes ces raisons, je suis très, très, très ouvert aux coentreprises et j'encourage fortement vos auditeurs à l'être tout autant.
MICHAEL MANCINI : Parfait. Donc, en réalité, les coentreprises permettent de s'adapter au chaos dont vous parlez dans votre livre. C'est une stratégie d'adaptation.
RAVI VENKATESAN : Oui. Tout à fait.
MICHAEL MANCINI : D'accord. Vous dites dans votre livre que 60 pour cent des coentreprises en Inde échouent. Pourquoi?
RAVI VENKATESAN : Je crois qu'il y a un ensemble de pathologies à l'œuvre, d'où la nécessité de prendre en considération tout un lot de facteurs de réussite clés connexes. Selon moi, ce qui importe le plus, c'est la concordance des valeurs. Il est vraiment important que vos valeurs et celles de votre partenaire concordent en ce qui concerne l'éthique, l'intégrité, les stratégies commerciales, la gestion des ressources humaines, etc. Si elles divergent beaucoup, la coentreprise risque fort d'échouer très rapidement.
Les exemples sont nombreux. Une compagnie de téléphone norvégienne a décidé de se lancer sur le marché indien en s'associant à une société immobilière indienne qui, mystérieusement, détenait des licences de télécommunications. Au bout d'un an, les dirigeants se sont rendu compte que leurs points de vue, notamment sur l'éthique, divergeaient complètement. La coentreprise a échoué et les deux parties ont abouti devant les tribunaux.
Aussi, la concordance des valeurs de toutes sortes est cruciale.
Le deuxième facteur clé est la clarté. Vous devez au préalable éclaircir un certain nombre de points. La portée des activités commerciales, le rôle de chaque partenaire, vos responsabilités respectives. Qui dirigera quoi? Comment gérerez-vous la coentreprise? Quelle sera la structure de gouvernance? Consistera-t-elle en un conseil d'administration ou autre chose? Quelle sera la gamme de produits de la coentreprise à court, à moyen et à long terme? Quels investissements effectuerez-vous? Si vous effectuez ce travail de débroussaillage au préalable, les choses seront bien plus faciles ensuite.
Par exemple. J'ai siégé au conseil d'administration de Volvo environ sept ans en Suède. Volvo a décidé de se lancer sur le marché indien et a formé une coentreprise avec le grand fabricant de camions Eicher. Les partenaires ont convenu de commercialiser les deux marques : la marque haut de gamme serait Volvo et l'intermédiaire, Eicher. Et les deux marques seraient mondiales. Ainsi, Volvo devait aider Eicher à prendre de l'expansion à l'échelle internationale. Par contre, il était bien clair qu'Eicher ne ferait pas concurrence à Volvo.
Il importe donc de clarifier les choses au départ. Eicher sera-t-il actif seulement en Inde ou partout dans le monde? Ces choses doivent être décidées au préalable. Sinon, il finira par y avoir des conflits. La clarté est donc un facteur important.
Et le troisième facteur, qui est absolument crucial, tient à la chimie et aux relations entre les PDG et les directeurs principaux des deux entreprises partenaires. Parce que, quel que soit le travail accompli, tôt ou tard, il faut faire face à des mésententes, à des écueils, à des divergences d'avis, à des modifications d'hypothèses et que sans une bonne entente entre les dirigeants, les conflits peuvent se polariser, faire naître de l'hostilité et entraîner l'échec de la coentreprise.
Une coentreprise, c'est comme un mariage. Il ne faut pas la voir uniquement comme une transaction, mais plutôt investir dans la création de liens personnels entre les deux partenaires. Vous devez prendre le temps de manger ensemble, de parler de la famille, de sport, afin d'apprendre à mieux vous connaître. Et lorsque vous aurez tissé des liens, vous saurez mieux comment régler les divergences de vues.
C'est donc assez important. Il y a probablement d'autres facteurs qui entrent en jeu. Si je devais n'en nommer qu'un, ce serait simplement de travailler pour la coentreprise et non pour vous-même. Toute tentative de faire le contraire, par exemple en cherchant à rentabiliser vos livres plutôt que la coentreprise, risque de susciter le mécontentement de votre partenaire et d'effriter la confiance.
Et trop d'entreprises le font, par exemple en cherchant à augmenter les prix.
Voici un exemple classique : un fabricant automobile ayant une coentreprise en Inde a tenté de remplacer sa gamme de produits la plus rentable par un nouveau produit dont les droits de licence étaient beaucoup plus élevés. Il s'agissait là d'une très mauvaise décision, puisqu'elle avantageait une seule partie au détriment de la coentreprise, ce qui a indisposé au plus haut point le partenaire indien.
Il faut donc éviter de tenter d'optimiser votre rentabilité aux dépens de celles de votre partenaire et de votre coentreprise.
MICHAEL MANCINI : Ravi, à quel point ces méthodes s'appliquent-elles aux PME? Elles s'appliquent aisément à de grandes entreprises, mais qu'en est-il des petites et moyennes entreprises?
RAVI VENKATESAN : Il est vrai que tous les exemples que je donne dans mon livre concernent de grandes entreprises. Il est donc pertinent de se demander si cela s'applique aussi aux PME. Je crois qu'il y a des similarités et des différences.
La principale différence réside dans le fait qu'une petite entreprise n'a pas la même tendance à prendre des risques. Elle n'a pas la même capacité d'encaisser les coups ou de faire d'importants investissements. Elle dispose peut-être aussi de moins de talents à disséminer sur l'un de ces marchés, et ainsi de suite.
En revanche, les petites entreprises présentent d'énormes avantages. Souvent, c'est le propriétaire qui gère l'entreprise. Donc, dès qu'il voit le potentiel d'un marché, il peut aligner toute son organisation en conséquence. La prise de décisions est très rapide.
Les PME présentent un ensemble de forces et de faiblesses très différent lorsqu'il s'agit de percer ce genre de marchés.
Mais les principes de base sont les mêmes. Le premier : allez en Inde. Ce n'est pas restant au Canada que vous réussirez à comprendre ce qui se passe là-bas. Vous devrez vous rendre sur place et y investir le temps voulu afin de voir par vous-même. Y a-t-il un marché pour votre produit? Quels sont les ingrédients du succès? Quels sont les risques? Et si vous investissez le temps voulu, vous vous rendrez probablement compte qu'il s'agit d'un bon endroit où faire des affaires, principalement en raison de l'énergie que vous ressentirez sur le terrain — le dynamisme de l'endroit, la qualité des gens que vous y rencontrerez. Invariablement, les gens des autres pays sont impressionnés à leur première visite. Vous devez vraiment y aller pour prendre le pouls du marché. Donc, si vous essayez de prendre des décisions à partir de Montréal ou de Toronto, ou d'ailleurs, les risques vous sembleront plus élevés et les possibilités moins nombreuses qu'en réalité. Par conséquent, vous reporterez toujours votre décision.
C'est donc ce qui importe à mon avis.
Deuxièmement, je crois qu'il faut commencer par monter une petite équipe locale qui saura saisir les occasions et lancer vos activités. Par la suite, vous pourrez décider comment accélérer votre expansion. Aurez-vous besoin d'une coentreprise? Devrez-vous procéder à une acquisition ou devrez-vous exercer vos activités de façon indépendante? Il peut devenir nécessaire, par la suite, de prendre ce genre de décisions, mais assurez-vous au départ de compter sur une équipe locale.
MICHAEL MANCINI : Ravi, merci de nous avoir accordé ces quelques instants et de nous avoir fourni ces renseignements précieux pour les entreprises d'ici. Merci encore.
RAVI VENKATESAN : Je vous en prie, Michael, ce fut pour moi un immense plaisir.
MICHAEL MANCINI : Je m'entretenais avec Ravi Venkatesan, auteur de Conquering the Chaos: Win in India, Win Everywhere, un livre que vous pouvez vous procurer sur amazon.com.
Un autre de vos alliés est le Service des délégués commerciaux du Canada. N'hésitez pas à consulter le site deleguescommerciaux.gc.ca afin d'avoir accès au plus vaste réseau d'experts en commerce international à votre service. Je répète, deleguescommerciaux.gc.ca.
Ici Michael Mancini qui vous dit « À la prochaine ».
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